

Qui dira
le poids de l'horreur ?
« Qui dira tout le poids de l’horreur ? Hier, la haine aveugle a encore frappé et endeuillé une famille de notre région. Aux environs de 18h00 Mme Mession et son fils Victor circulaient sur la nationale 7 en provenance de Lamoricière et à destination de Sidi Bel Abbès. Aux environs d’Aïn Tellout, dans une zone ou la route est très encaissée et sinueuse, leur voiture a été la cible de fellaghas, une rafale d’arme lourde ne leur a laissé aucune chance. Une patrouille de l’armée a retrouvé l’épave de leur Citroen encore fumante quelques minutes plus tard. Les deux infortunés passagers étaient morts sur le coup. Madame Mession était âgée de 56 ans et son fils en avait 28. C’est avec une grande émotion que nous pensons à cette famille très honorablement connue et sur laquelle le sort s’acharne injustement. Quand tout cela cessera t-il ? » (Echos de l’Oranie, Mardi 8 Novembre 1960)
…
« On est dimanche, on est le 6 novembre, on est en vacances et moi je suis ici dans cette saleté de pensionnat ou je m’ennuie à mourir. » Remâchait Florine Mession assise sur un banc dans la cour du pensionnat de jeunes filles Fénelon de Sidi Bel Abbés… Florine aurait pu être une bonne élève mais elle n’en avait pas envie, son tempérament rebelle était accentué par sa position de « petite dernière », elle était née 13 ans après le dernier de ses frères et elle avait été couvée. Tout le monde s’inclinait devant ses caprices. Tout le monde sauf, bien entendu, les bonnes sœurs de Fénelon et cela lui rendait le pensionnat encore plus odieux.
Pourquoi sa mère n’avait-elle pas envoyé Vic le frangin bien aimé pour la délivrer de son enfermement à l’occasion des quelques jours de répit de la Toussaint ? Il se régalait de conduire la Traction avant et serait venu à la ville avec grand plaisir, on pouvait compter sur lui pour saisir la moindre occasion de voir le monde, de voir des filles, et celles de la ville paraissent toujours plus « classe » que les autres. Mais surtout ce qui la mettait en rage c’était la distance : 61 km, rien que 61km, au plus une heure et demi avec la Citroën, et encore si tout va mal. On lui devait bien de venir la chercher surtout que ça ne coûtait rien ou presque, toutes ses copines ou presque, toutes ses cousines ou presque, rentraient chez elles, oui, c’est vrai que les événements avaient changé les choses mais ils avaient bon dos les événements…
Bouger, bouger pour ne plus tourner en rond, bouger pour tester les opportunités. Florine se leva et erra dans les couloirs silencieux de l’institution. La porte des dortoirs baillait un peu, elle était restée ouverte. Pendant les vacances la rigueur ordinaire semblait se dissoudre dans une atmosphère un peu moins lourde. Florine monta de toute la légèreté de ses quinze ans les marches familières ; personne ne pouvait l’entendre, elle semblait juste effleurer les rudes pierres, les survoler.
Ce qu’il y a de bien, aussi, quand on fait des bêtises c’est que le temps passe plus vite. Florine failli être en retard au réfectoire, mais en fait personne ne s’aperçut de rien.
…
Télégramme :
« Madame Mession,
Votre fille Florine s’est encore rendue coupable de gestes inacceptables STOP
Dimanche elle s’est introduite dans les cellules des sœurs et a refait leurs lits en portefeuille STOP
Elle a de plus noué toutes leurs chemises de nuit ensemble en une grotesque guirlande qu’elle a laissé pendre aux fenêtres STOP
Cette bêtise se rajoute à beaucoup d’autres dont je vous ai informé en leur temps STOP
Florine est à l’évidence incorrigible et sa conduite inacceptable STOP
J’ai donc décidé de son exclusion immédiate de l’établissement STOP
Je vous demande toutes affaires cessantes de bien vouloir venir la chercher STOP
Dans l’attente de votre venue elle demeurera à l’infirmerie d’où elle ne sera pas autorisée à sortir STOP
Signature : Mère Inès »
…
Madame Mession était effondrée, depuis que le cœur de son mari avait lâché cinq ans plus tôt, elle était seule pour s’occuper de ses quatre enfants et de la propriété c’était déjà beaucoup, c’était trop. Mais en plus Florine était impossible, elle s’était déjà fait renvoyer de Fénelon à Oran et maintenant la voilà virée de Fénelon à Sidi Bel Abbés. Qu’allait-elle pouvoir en faire ? Aucun internat ne voudrait plus d’elle.
Elle appela Vic :
- Sort la voiture il nous faut aller à Bel Abbés.
- A cette heure-ci ? Nous ne pourrons pas être intégrés dans un convoi, répondit-il.
- Tant pis !...
trouble subi(t)
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