la nouvelle du mois...
La petite maison (d'édition) dans la prairie
C’est une petite maison dans l’immense prairie aux grandes herbes sauvages. Elle est toute en bois, peinte de blanc, son toit est de bardeaux de pin, son porche est soutenu par quatre colonnes. A son côté, un appentis un peu déglingué abrite une charrette jardinière.
Un peu à l’écart du chemin, dans un enclos de dentelles roses dansent des licornes beiges. Au loin, comme un rempart, comme une menace, d’immenses montagnes couronnées de blanc séparent la phénoménale étendue verte et ondulée, d’un ciel tout bleu. Les anciens racontent que ce firmament s’en va se fondre dans une mer dont les vagues lèchent les racines de cocotiers géants.
Trois gros tuyaux, un rouge, un vert et un bleu apportent l’encre à la maison. Tous les mois, un vieux et lourd char tiré par une paire de grand bœufs blancs tachés de roux, livre deux forts rouleaux de papier blanc.
A l’intérieur de cette bâtisse mystérieuse s’agitent des fées et des anges. Ils œuvrent de concert ; dès le matin ils accueillent un défilé de mendiants hirsutes vêtus de guenilles magnifiques. Ils les installent l’un après l’autre sur une chaise monumentale en bois brut, leurs membres y sont assujettis à l’aide de larges sangles kaki. Un cercle de fer est passé autour de leur crane, le même dispositif est posé sur leur poitrine très près de leur cœur. De gros fils électriques les relient alors à une mystérieuse machine pleine de cadrans et d’écrans. La séance dure un long moment. Les auteurs comme on les appelle, tremblent, transpirent et pleurent. Quand tout est achevé, on les libère fébriles et titubants. Pour les inciter à revenir bientôt on leur a donné deux nougats et un montécao.
Dans l’immense cuisine de grands rouleaux mats, des leviers de fonte émaillée en noir et de longues bielles chromées s’agitent fiévreusement toute la journée. Un concert de cliquetis mécaniques et de ronronnements électriques accompagne cette frénésie.
Vers le soir, la charrette est attelée de deux poneys gipsy cob, son plateau entouré de délicats barreaux tournés est recouvert d’un vieux plaid de laine sur lequel on entrepose de grandes piles de livres aux couvertures chatoyantes.
Le grand ordonnateur des ventes, vêtu de sa houppelande chamarrée à laquelle quelques grelots sont attachés et tintent joyeusement, s’installe sur le banc du côcher. Il s’en va à l’aventure vers les rues et les places des libraires. Le trot placide des chevaux pies bat la mesure d’un avenir enfin en marche. Doucement, ce spectacle rustique s’estompe dans les ombres du soir qui descend.
Les lampes que personne n’a allumé s’éteignent une à une dans le frêle édifice, le silence et l’obscurité s’installent. Demain, peut-être, la maison d’édition renaîtra de l’inflammation spontanée de quelques imaginaires sauvages...
Jean-Marc Donnat
trouble subi(t)
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