Conte de fée pour retraités

J’aurais dû me méfier… Je la sais rancunière, Il lui faut du temps pour retrouver sa sérénité même après des excuses en bonne et due forme. J’aurais dû me méfier car nous nous étions disputés la veille. Sans que cela paraisse exagéré, il faut reconnaître que cela arrive de plus en plus souvent. Mais bon, j’ai demandé pardon. Ça ne me dérange pas de m’excuser, ce n’est pas difficile, une fois que l’on a pris le pli, cela vient tout seul. On n’a même pas besoin d’y penser. Un quasi automatisme indolore.

Je me suis levé tranquillement et tout de suite j’ai eu conscience que ce jour était spécial. C’était son anniversaire. Dès que ma princesse a fait son apparition dans la cuisine vêtue de son seul pyjama en pilou, je lui ai souhaité le meilleur sans oser mentionner le chiffre de son âge. Tout semblait réglé, c’est le cœur tranquille que comme tous les jours je suis sorti pour acheter le pain. J’ai pris en plus un mignon petit gâteau à la fraise pour marquer le coup.

Nous avons pris sereinement notre repas de midi sur la table de la cuisine, et à la fin, nous nous sommes partagés le gâteau. Au moment où je lui renouvelais mes vœux de bonheur, elle fut prise d’éternuements comme si elle était allergique à la fraise.

- A tes souhaits !

Je ne sais pas lequel de nous deux fut le plus surpris. Elle sursauta et ouvrit de grands yeux ronds. Il me fallut un peu de temps pour comprendre. J’étais tombé de ma chaise et me retrouvais à même le sol, mes sensations étaient complètement différentes. Je me sentais sec et minuscule et le cri de surprise que je poussais n’était en fait qu’un croassement.

Un crapaud, j’avais été transformé en crapaud, c’était cela son vœu.

J’étais complètement décontenancé et ne savais plus que faire. Elle recouvra ses esprits très vite. A l’aide d’une passoire, elle me recueillit sur le sol et me mit au fond d’un bocal.

Le lendemain, elle acheta un vivarium qu’elle déposa sur ma table de nuit et m’installa confortablement. Elle attrape des mouches pour moi et me nourris à heures fixes. Je dois dire que je suis très bien traité.

Dans ce que je suppose être mon malheur, je me pose des tas de questions et en particulier : qu’est-ce qui me vaut ce traitement de faveur ?

C’est en la regardant lire mon courrier que j’ai compris. Seules les lettres et relevés de ma caisse de retraite attirent toute son attention. Si elle veut continuer à percevoir ma pension il faut que je reste vivant. Elle y veille.

Autre question qui découle de la réponse précédente : combien de temps peut vivre un crapaud en excellente santé ? Pas très longtemps sûrement ; en tous cas bien moins de temps que le même en homme fut-il retraité.

Toutes ces réflexions ont installé une douce béatitude dans mon âme. Si elle veut continuer à vivre dans sa petite opulence, il lui faudra très bientôt prendre une grande décision pour ne pas me voir m’éteindre trop vite. Si elle veut retrouver son prince charmant avant qu’il ne soit trop tard, Elle va devoir me donner un baiser. Cela fait si longtemps que cela n’est pas arrivé !